mercredi 19 septembre 2007

HISTOIRE DE LA TAPOUNELLE



Tapon - Saint Ilpize 43380

Au début de la Révolution, la chapelle du village de Tapon abritait une petite cloche. Triste ou joyeuse, elle rythmait les jours et les heures, les fêtes, les peines et les malheurs. C'est elle qui battait le tocsin au hameau. Et on la sonnait haut et fort pour chasser les orages de grêle loin des maisons et des champs.

On l'installa en 1734, tout là-haut sur le clocheton. On l'y plaça si bien, avec tant d'amour et de ferveur, que lorsque le jour déclinait vers l'occident, alors qu'il ne restait plus sur la crête des montagnes qu'une poussière de soleil, elle s'enveloppait encore d'une dernière caresse de lumière. Ah ! c'était une belle et brave cloche et les Taponais en étaient très justement fiers.

La chapelle était desservie par un prêtre, monté par le chemin caillouteux de Saint Ilpize, aux frais des habitants de Tapon. Jusqu'en 1734, on y disait la messe les dimanches et fêtes d'hiver, de la Toussaint à la Passion, époque où les humeurs de la mauvaise saison rendaient souvent difficile la route de Saint-Ilpize. Puis, à partir de cette année-là, l'office fut célébré à Tapon toute l'année et le Pape, sa Sainteté Clément XII accorda même des Indulgences à tous ceux qui viendraient y faire dévotion.

Notre petite cloche pouvait ainsi carillonner à tout va, éparpillant sa musique au gré des vents, par-delà les monts. C'est le curé de Saint-Ilpize lui-même qui vint la bénir en grande cérémonie, par une claire journée que le seigneur dans son infinie bonté avait faite toute de soleil et de lumière.

Dés lors, ce fut merveille de l'entendre, ding-ding-dong par ci, ding-ding-dong par là, elle portait son message jusque chez les plus humbles, n'oubliant personne, et ceci sans jamais faillir, soixante années durant.

Las ! un funeste matin de 1792, les Taponais eurent beau ouvrir toutes grandes les oreilles au réveil, pas un Angélus, pas un tintinement, seul courait le bruissement feutré des grands arbres de la colline que portait un lèger souffle de vent. La cloche du bourg s'était tue, elle s'était même envolée pendant la nuit, bien que ce ne fut point Pâques !

Il s'en suivit maintes investigations fièvreuses.

Au bout du compte, les gens de Tapon crurent reconnaître leur chère cloche au sommet de l'église de Saint-Ilpize et tout naturellement ils en vinrent à soupçonner leurs voisins de s'être procuré une nouvelle cloche à leurs dépens.

Le ton monta, rien n'y fit, les paroissiens de Saint-Ilpize nièrent le vol et la cloche tant disputée demeura solidement fixée dans le clocher de Saint-Ilpize.

LA GUERRE EST DECLAREE

Désormais les deux villages vécurent à couteaux tirés. Les jeunes se frottaient quelquefois les reins à l'occasion des danses de villages, les gamins se lançaient des pierres au détour des chemins, les femmes s'apostrophaient avec avidité, et les élections municipales donnaient lieu à des péripéties que l'on qualifierait volontiers de clochermerlesques, si Clochemerle avait déjà existé.

Les Taponais patientèrent un demi-siècle, sans oublier, assurant dans la pérénité de leur noble race, hargne et colère à l'encontre de leurs rivaux.

Vint la Révolution de 1848, la fuite Louis-Philippe, la proclamation de la République... Tout était sans dessus-dessous. Maires et fonctionnaires républicains prenaient la place des notables royalistes. Dans ce chambardement, l'autorité, la police, et l'administration paraient au plus pressé.

Profitant du désordre ambiant, les hommes de Tapon tentèrent le 25 avril 1848, une expédition au chef-lieu communal pour reprendre "leur" cloche.

Le village respirait le calme. Les Taponais avançaient avec précaution quand soudain, au détour de la rue qui conduisait à l'église, le maire de Saint-Ilpize et ses administrés eurent le front de leur barrer la route.

Ce fut comme un tourbillon : le maire ne veut pas se ranger et les Taponais le renversent cul par-dessus tête et passent dessus, et si bien dessus que le pauvre homme en est tout meurtri. Les Taponais, sans perdre haleine, ramènent triomphalement la cloche chez eux, s'enfuient et courent encore, tandis que le malheureux maire et ses administrés se mettent à crier : " Arrêtez, arrêtez ces coquins, qu'on leur donne cent coups !", puis tapotant leurs vêtements emplis de poussière, " peste soit de ces marauds-là, il faudrait leur rompre les bras et leur couper les oreilles !"

Mais les vainqueurs n'eurent pas le temps de savourer leur succès, ni de fêter joyeusement ces tendres retrouvailles.

Au soir même de ce 25 avril, les gendarmes intervinrent , sous la conduite du Commissaire près le Tribunal Civil de brioude, qui en prévint le Sous-Préfet Amédée de Saint-Férréol en ces termes :

" Citoyen sous-commissaire,

Des désordres ont éclaté ce matin à Saint-Ilpize à l'occasion d'une cloche que les habitants du village de Tapon ont voulu enlever. Le maire me mande que son autorité a été méconnue, qu'il a été terrassé, que ses insignes et ses vêtements ont été déchirés : ce magistrat ajoute qu'une collision paraît inévitable entre les habitants de Tapon et ceux de Saint-Ilpize. J'ai l'honneur de vous prévenir que je me rends sur les lieux avec M. le Juge d'instruction et la gendarmerie".

ET LA CLOCHE DEVINT MUETTE

Quelques heures plus tard, gardes nationaux et gendarmes ramenèrent la cloche à Saint-Ilpize, ou plutôt ce qui restait de la cloche car le battant manquait et ce battant les gens de Tapon l'avaient décroché, caché et se refusaient à le rendre. Et la cloche devint muette, en lui ôtant sa langue de bronze, on lui avait enlevé la voix...

Il n'empêche que les Taponais n'en étaient pas moins humiliés et bafoués et, à nouveau privés de leur chère cloche ; ils se trouvèrent en proie aux railleries.. des ricanements et des quolibets les saluaient aux marchés de Langeac et de Brioude. Jusqu'au Puy circulaient des chansons sur la Tapounelle, sur la fameuse cloche irrévérencieusement rebaptisée de la sorte par les piliers de taverne.

Les deux villages continuèrent à s'affronter, irréductibles.

Puis, une nuit sans lune de 1855, des inconnus, vraisemblablement venus de Tapon, escaladèrent le clocher de Saint-Ilpize et endommagèrent la Tapounelle, pour l'empêcher de sonner ...

Pour éviter de nouveaux heurts, l'administration décida, en 1884, de créer une section électorale autonome à Tapon, malgré l'opposition du Conseil Municipal, toujours dominé par les représentants de Saint-Ilpize. Les Taponais eurent ainsi désormais automatiquement des élus au Conseil.

Entre temps l'affaire toujours présente de la Tapounelle, était une nouvelle fois portée devant les tribunaux.

Un premier jugement donna raison aux Taponais, le 29 mai 1878, et condamna la fabrique de la paroisse de Saint-Ilpize à rendre la Tapounelle.

Mais le Conseil Municipal de Saint-Ilpize fit appel, le 28 décembre suivan,t, et ce deuxième jugement débouta les Taponais.

Ils ne conservèrent donc que le battant de leur chère Tapounelle, et lassés, finirent par construire une nouvelle église, avec une cloche toute neuve.

Ce qui n'empêcha point "les couviges" de perpétuer cette histoire à grand renfort de patois et d'éclats de rire, et les cloches du canton de se raconter à toute volée l'odyssée de leur malheureuse compagne.

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